« Les entraîneurs avaient l’embarras tellement il y avait des talents, de grandes joueuses »
A 59 ans, l’ancienne meneuse de jeu du TKC utilisée souvent comme latérale gauche, poursuit sa passion en coachant des jeunes. Dans un entretien exclusif, Delphine Yatta raconte quelques bouts de sa vie de handballeuse.
43 ans après le début de votre carrière chez les Lionnes, que devient « poignet d’or » du Cameroun, latérale gauche parfois utilisée comme demi-centre du TKC ?
Depuis le temps, je suis plus dans le conseil. J’essaie de former. Enseignante d’Education physique et sportive à la retraite depuis neuf ans, je donne des cours de vacation dans des établissements. Je travaille avec les touts petits au groupe scolaire Fusée au quartier Melen à Yaoundé. Avec ces enfants, j’échange beaucoup. Moi, j’ai commencé à jouer au handball parce que mon rêve était de devenir comme Essombe, une très grande joueuse. Je coache ces enfants sur l’importance d’avoir des modèles, de rêver. La magie du sport et du handball, c’est le travail. J’ai eu le temps de créer l’équipe juniors du TKC, Thunder. En plus, je m’occupe à former au basket également.
Travailler avec ces enfants doit probablement vous rappeler vos débuts dans la discipline…
Effectivement. Contrairement à eux, je volais mes heures de jeu dès l’école primaire. Lors des épreuves physiques des examens, l’on pratiquait trois disciplines : la course, le saut et les lancers. J’étais toujours championne. J’appartiens à la première promotion de l’école publique de Tsinga en 1967. A ce moment, nous avions un jeu dénommé candidature. Donc, nous exploitions l’espace au fond de la classe pour jouer à ce jeu qui consistait à taper dans une tisse avec la tête et à renvoyer le ballon sur le mur. Mon maître, monsieur Charles Etéki, passionné de handball, avait remarqué mes aptitudes. Il avait décidé de m’entraîner de même que d’autres tous les jours. Mon père refusait que je joue. Il tapait sur moi. Je me retrouvais blessée. Mon contrat avec monsieur Etéki pour ne pas avoir de problèmes avec mes parents était que je répète tous mes résumés. Lorsque je pars de l’école primaire en 1973 et après mon échec au concours d’entrée au Lycée technique de Yaoundé et passionnée de dactylographie et de couture, j’ai été admise au Centre de jeunesse de Madagascar où j’ai été inscrite en sténo-dactylo. Le terrain de handball se trouvait dans le centre.

En 1984, Delphine Yatta à la droite de Mbombo Njoya, est reçue au palais de l’Unité par le président de la République avec ses coéquipières du TKC Handball dames.
A votre passage au Centre de jeunesse, l’équipe Tonnerre Kalara Club handball est créée. Ce doit être un grand moment pour vous…
Je ne comprenais pas ce qui arrivait. A peine partie de l’école primaire, je me retrouve dans la première équipe du TKC qui s’entrainait au centre de jeunesse en 1974. Les joueuses s’entraidaient. L’entraînement était difficile parce que les familles n’acceptaient pas de nous voir choisir cette voie là. Du coup, à l’entraînement, des joueuses se retrouvaient à apporter deux paires de chaussures pour en prêter une à leur coéquipière. Nous nous passions les shorts et autres équipements, les dirigeants nous épaulaient du mieux qu’ils pouvaient. Nous étions obligées de former une famille. Cette première année du TKC avait des têtes vraiment fortes comme Geneviève Ntonga, Angéline Mayel, Suzanne Arang…Rachel Badang (long moment de réflexion puis trou de mémoire, ndlr). L’équipe était constituée d’enfants venus des quartiers Madagascar, Carrière, Nkomkana, Briqueterie. Moi, je vivais à Nkomkana et je peux vous dire ces quartiers à Yaoundé, étaient le cœur du handball camerounais. A l’époque, l’entraînement n’était pas réglementé. Il n’y avait pas de méthode. Nous venions jouer pour nous faire plaisir autant que nous pouvions trois fois par semaine puis, nous rentrions. Nous organisions toujours des entraînements et des matchs contre des garçons venus de Madagascar, ce qui renforçait notre façon de jouer.
Votre première compétition, c’est au Centre de Jeunesse de Madgascar. A l’époque, vous n’êtes pas encore surnommée « Poignet d’or du Cameroun ».La petite fille que vous êtes doit rencontrer des grands noms dont son idôle, Essombe dans un match contre le lycée technique.
Comment se passe le match ce jour, veille de Fête nationale de la jeunesse ?
Effectivement, dans l’équipe du Lycée technique il y avait de très grandes joueuses de l’équipe nationale à savoir Essombe, Bingombe, Gisèle Noah, Akamba… Je me suis dit, il faut y aller sans pression et se faire plaisir. Nous avons été battus par un écart de trois buts. J’ai inscrit trois buts. Je jouais du poignet. Quand on m’arrêtait, le poignet partait et c’était un but. Dans les tribunes, mon nom était scandé. Le sélectionneur national de l’époque, monsieur Tchatchoua a été interpellé. Il m’a sollicité directement pour l’équipe nationale en 1974 ou 1975. Mon père n’était pas d’accord. Il m’a bloqué, je ne suis pas allée en stage avec l’équipe. J’ai regretté.
Une autre chance vous est offerte. En 1976, vous êtes convoquée pour un stage avec les Lionnes du handball… Vous tenez tête à vos parents et rejoignez le groupe…
J’ai déserté la maison pour aller en stage. Ma cousine, qui portait le même nom que moi, était la seule à me soutenir. Elle me rendait visite au cours de ce stage bloqué à l’Institut national de la jeunesse et des Sports. Un stage préparatoire aux Jeux de Libreville au Gabon. J’ai été marquée par ce regroupement conduit par monsieur Badjeck. La particularité ici était que 56 handballeuses étaient en regroupement. Il fallait en retenir 12 pour les Jeux. On a tamisé des joueuses trois fois. J’étais présente dans le groupe de 16 joueuses duquel quatre handballeuses devaient être recalées. J’étais parmi les recalées, je suis restée mais je n’ai pas perdu espoir.
« J’ai fait la paix avec mon père autour de boissons »
La flamme qui brille dans vos yeux pour la discipline est récompensée en 1977, avec cette médaille d’or glanée aux Jeux dédiés aux universités et organisées au Nigeria.
J’ai été convoquée dans l’équipe universitaire. J’ai encore fugué pour rejoindre l’équipe en stage. Nous sommes allées au Nigeria où la compétition s’est bien passée. J’ai décroché une médaille d’or avec une bonne place dans les articles du journal Cameroon Tribune. Les voisins ont alerté mes parents. Mon père souhaitait voir la médaille mais, craintive, puisque c’était du fer, j’avais peur qu’il ne me frappe avec. Finalement, j’ai cédé, je la lui ai présenté le laurier. Les bons commentaires des voisins ont aidé. J’ai fait la paix avec mon père autour de boissons. Dès ce soir-là, il m’a comme béni pour ma carrière, m’autorisant à jouer.
Les choses s’enchaînent pour vous, vous allez en stage avec l’équipe nationale pour les Jeux Africains d’Alger.

La culture bien ancrée
Notre regroupement s’est passé à Paris en France. Le Cameroun a voyagé avec seulement neuf joueuses pour ce stage-là parce que des coéquipières passaient des examens scolaires. Nous avons participé à des tournois à Nimes et d’autres. En Algérie, nous avons terminé vice-championnes. A notre retour, nous sommes allées à première coupe Maria Ngouabi au Congo où nous étions toujours deuxièmes. Dans la foulée, j’ai eu le temps de me marier, de jouer malgré les maternités. Je conduisais mes grossesses en jouant jusqu’à cinq à six mois. Je n’avais pas un ventre visible, tout passait. Les coachs étaient surpris, autour de moi, on pensait que c’était risqué.
Racontez-nous ce malaise perceptible en sélection nationale où vous avez plié bagages en 1984.
Je travaillais au Cenajes de Dschang, je faisais des aller et venue entre Yaoundé et Dschang. Il y avait un problème entre le TKC et le sélectionneur national. Je n’étais pas au courant mais le malaise était perceptible dans le vestiaire, lors des entraînements, bref, un peu partout. Ne pouvant supporter cette ambiance pourrie, j’ai plié mes effets et j’ai quitté le site du stage. Le coach était surpris. Il est venu quelques temps après faire la paix. Monsieur Bisseck l’a dit : « excuse-moi ». En me rappelant que j’étais une grande joueuse, il a tenu à me faire savoir que je jouais du poignet comme lui. Pour lui, c’était la marque des grands joueurs.
Quelle était la relation ancienne – nouvelles en sélection nationale ?
D’abord, quand on retenait 16 joueuses, les 16 se valaient. Il n’y avait pas de rivalités. Nous étions une famille pendant le jeu. Les anciennes joueuses encadraient bien les nouvelles. Les entraîneurs avaient l’embarras, tellement il y avait des talents, de grandes joueuses. Nos capitaines étaient charismatiques et fortes. Claire Kabeyene, Claudine Bigombe et Suzanne Ngono, madame Amougui. Ces dernières savaient nous encourager. Tenez, lors d’une compétition, Claudine Bigombe était capitaine. J’étais sur le banc. Le coach voulait remplacer Bigombe à sa demande. Elle a souhaité que je la remplace. Cet acte a marqué la nouvelle que j’étais. Les joueuses n’avaient pas la grosse tête. Nous étions disciplinées. Il n’y avait pas de désordre. Nous étions soudées, nous ne faisions pas semblant. A l’époque, la rivalité se situait dans les matchs entre les meilleures équipes et les meilleures joueuses. Amacam-TKC, SNH-TKC, Canon-TKCn CNPS- TKC, Cami –TKC, Brasseries-TKC, Camship-TKC notamment étaient des affiches qui faisaient souvent la Une de Cameroon Tribune, tellement les matchs promettaient de vraies empoignades et un spectacle atypique. Titulaire au TKC ; quand je jouais contre Amacam, je me disais je dois battre Ekassi qui était très forte. Nous avions de bons potentiels à la SNH, au Lycée Leclerc, Top Brasseries, Canon, Camship, Cami Toyota… Dans ces équipes vous aviez les Nyake, Souga, Moutat, Ngo Oum, une très grande demi-centre qu’il fallait toujours battre.
Vous étiez l’une des meilleures joueuses du championnat national à l’époque et votre jeu de poignet était votre identité. Vous inscriviez en moyenne combien de buts par matchs?
Je crois que si le titre de « Homme du match » était décerné à l’époque, je crois que je serais la meilleure très souvent. Si TKC marquait 20 buts, j’en inscrivais 15. Il m’était même arrivé de terminer un match avec 22 buts inscrits. C’était hallucinant puisque je jouais pour me faire plaisir. Je ne pensais pas à l’argent. J’avais toujours envie d’être comme mes aînées dans la discipline à défaut de faire mieux qu’elle. J’ai souvent été très bien servie parce que ces aînées saviaent me conseiller même quand mon équipe battait la leur.
1984, grande année pour vous.TKC est vainqueur de la coupe du Cameroun contre Cami Toyota. Vous recevez le trophée des mains du président au palais de l’Unité.
En 1984, après sa prise de pouvoir en 1982, le président de la République a décidé de remettre les trophées de coupes aux équipes vainqueurs au palais. Je n’étais pas au courant de la cérémonie. J’étais à Dschang au Cenajes. Je me suis retrouvée à Yaoundé par hasard au même moment, à la faveur du mariage d’une cousine. A mon arrivée, on m’annonce que ce jour-là, le TKC va recevoir le trophée des mains du président. Je n’en revenais pas. J’ai abandonné le mariage pour rejoindre mes coéquipières. Je me suis retrouvée avec un uniforme différent de celui du groupe. On aurait dit que j’étais une administratrice. Nous avons passé du temps avec le président qui prenait de nos nouvelles. Quand il a demandé : « Comment vous allez ? », j’ai sursauté. Je me suis demandé s’il me posait vraiment la question à moi. Nous étions chanceuses de lui parler, d’être avec lui. Nous avons causé avec lui. Pour une joueuse comme moi, c’était le summum. Au palais, j’étais émue au plus profond. Je souhaite que chaque sportif vive cela. Je viens pour le mariage et je me retrouve à la présidence…Quand j’ai arrêté en 1995, j’étais comblée avec les trophées de l’équipe et autres. De retour au championnat, les choses n’étaient plus pareilles. Nous avions encore envie de réinventer le handball pour aller à la présidence. Nous étions la meilleure équipe et nous voulions que la planète le chasse.
« On doit sentir la Lionne, on ne va pas en Allemagne pour remporter le trophée »
Les Lionnes, vont au championnat du monde. Quelques astuces à leur communiquer pour éviter d’être ridicules en Allemagne ?
Ces joueuses doivent être disciplinées. Elles doivent avoir de la puissance, l’énergie, la vivacité. Elles doivent être chargées à bloc. Les joueuses manquent de passion, elles ne savent plus mettre tout le corps au service de l’équipe, elles se ne savent plus se battre et abandonnent rapidement. Elles doivent réapprendre à être rapides, pourtant nous savions replier, défendre même quand on commettait une erreur. Il manque à ces jeunes la réaction essentielle qui est le repli rapide quand on rate une action avec les mains en alerte, le regard vif. Il faut garder toutes les joueuses en face de soit, bien calculer les espaces, faire le mort mais être là à chercher à chiper le ballon. On doit sentir la Lionne, on ne va pas en Allemagne pour remporter le trophée. Elles doivent se battre pour obtenir ce qu’elles veulent : une reconnaissance mondiale. Le Mondial sera une exposition des joueuses camerounaises. Elles doivent tout donner
Entretien conduit par AB